La France et son administration
Il y a une dizaine d’années, comme j’avais
déménagé, je n’ai pas reçu le formulaire de déclaration d’impôts. Après avoir
obtenu l’adresse du service concerné, je m’y suis rendu. Les employés en grève
interdisaient l’accès de l’immeuble. J’ai protesté – je ne voulais qu’un
formulaire – mais rien à faire. Je me suis énervé, j’ai demandé pourquoi ils
faisaient grève et une jeune fille brune frisée, un peu grasse, m’a répondu :
« pour défendre nos privilèges. » Heureusement, quelqu’un m’a
dit que des formulaires étaient disponibles à la mairie et, par chance, il en
restait quelques-uns.
D’accord, cette jeune fille n’était sans doute
pas capable d’inventer l’eau tiède mais des « privilèges » au début
des années 2000 ?
Si j’étais tombé sur un syndicaliste, peut-être
aurais-je obtenu une explication argumentée, mais j’en doute. Je n’étais qu’un
administré un « client » plus ou moins dans la merde, et très éloigné
des préoccupations des syndicalistes.
Je suis moi-même le fils d’un employé de l’administration
française et je sais comment ces bureaucrates considèrent les gens qu’ils sont
chargés d’administrer : stupides, tricheurs, profiteurs, voleurs, délinquants
en puissance, méprisables.
Si mes souvenirs sont bons, l’administration
française date de Colbert, ministre de Louis XIV, monarque absolu. Aucun
régime, par la suite, n’a voulu ou pu la contrer. (Probablement voulu : c’était très pratique.)
Aujourd’hui, dans notre pays, cette
administration a mis le reste de la population en coupe réglée, comme dans ces
romans de science-fiction où les « scientifiques » gouvernent,
soi-disant pour le bien commun – ils ont, après tout, le savoir –, mais finissent
par opprimer. Cette administration française est tellement puissante qu’aucun
pouvoir politique ne peut la réformer. Le président Sarkozy lui-même, pourtant
extérieur au système, n’y est pas parvenu. À cause d’elle, toute réforme est
impossible. Elle tient tous les leviers. Et même, comme l’essentiel des politiciens
sortent de l’École nationale d’administration, elle tient les plus hauts échelons,
dans la majorité comme dans l’opposition.
La jeune fille brune, frisé et plutôt grasse,
incapable d’inventer l’eau tiède, avait raison. Cette administration et les
gens qui la composent défendent leurs privilèges. Hérités de Colbert, de la
monarchie absolue, de Napoléon, de Pétain. La France qui a droit à la parole
est celle de son administration, pas celle de sa population.
Le pire est que la pusillanimité de ces
fonctionnaires se propage dans toute la société, dans toutes les entreprises.
Ça ne changera pas. Je ne vois pas le
gouvernement actuel, issu de cette administration, prendre des mesures
radicales. Il trompera la population et continuera de la tondre, surtout les
catégories qui ne peuvent pas se défendre, à savoir les classes moyennes travaillant
dans le privé, qui sont logiquement suspectes.
Il est facile de dépenser sans compter quand
il suffit de voter de nouveaux impôts pour boucher les trous.
L’intérêt général est la dernière
préoccupation de cette administration, de ce « service public » dont
on me rebattait les oreilles quand j’étais enfant. En réalité, mon père allait
d’un bout à l’autre du département pour contrôler que les miséreux touchant
quelques sous parce qu’ils étaient handicapés, malades ou s’occupaient d’un
père ou d’une mère âgé ne trichaient pas. Qu’ils étaient bien handicapés ou malades,
qu’ils prenaient bien soin d’un père ou d’une mère incapable de vivre seul. Même
si on me payait le salaire de Ronaldo, je refuserais de faire ce boulot.