Suicide
Presque tous les matins, à son réveil, depuis
vingt ans, Marc rêvait qu’il s’enfonçait un couteau dans le cœur. C’était un
couteau précis : lame en acier non poli formant un angle de cent
quatre-vingt-dix degrés avec un manche en pin brut. Il avait acheté ce couteau, avec
sa deuxième épouse, chez Ikea. Pour la cuisine.
Dans La
vallée des roses, la concubine creuse dans sa poitrine avec un peigne en
jade pour atteindre le cœur mettre un terme à la souffrance.
Combien de Romains se sont laissé tomber sur
leur glaive pour échapper au déshonneur ou à la souffrance ?
Marc imaginait qu’il pourrait s’asseoir dans
son bac de douche et plonger un couteau de cuisine dans son cœur. Lame polie et
manche en plastique, imitation de couteau japonais, acheté aussi chez Ikea. Dans
le bac de douche, il ne salirait pas l’appartement. Mais il n’avait plus ni
famille ni amis. Le temps que l’odeur attire l’attention – et, naturellement,
le défaut du paiement du loyer – il serait une sorte de masse informe et puante
susceptible de traumatiser un jeune pompier innocent.
Il fallait trouver une autre méthode.
Souvent, il avait rêvé qu’il emplissait les
poches de ses vêtements de cailloux et se jetait à l’eau. Ça se passait au bord
de la Seine, face à la centrale électrique de Porcheville. C’était un bel
endroit. Mais, quelques centaines de mètres ou quelques kilomètres en aval,
quelqu’un trouverait son corps gonflé, bouffi, et n’oublierait jamais.
Le problème, quand on envisage de se suicider,
c’est : qu’est-ce qu’on fait à la personne qui trouvera le corps ?
Donc, après mûre réflexion, Marc décide de
prendre un ferry de nuit pour l’Angleterre. Au milieu de la traversée, il sautera dans
la Manche. Même pas besoin de se lester. Le navire ne pourra pas s’arrêter à
temps et personne ne retrouvera son corps.
Les poissons, les crustacés, toutes sortes de
créatures dévoreront sa chair et il participera ainsi au cycle de la nature sans
avoir infligé à quiconque le spectacle de son cadavre.
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